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Vers la remise en cause de l'indépendance de la maîtrise d'oeuvre ?

MAI 2015

Le travail de transposition des nouvelles Directives européennes[1] se poursuit. Après le vote au Parlement Européen du nouveau cadre de la commande publique, chaque Etat, dont la France, doit les intégrer et les adapter à son droit national. C’est le travail engagé depuis plusieurs mois par la Direction des Affaires Juridiques de Bercy.

Cette réforme des marchés publics a pour ambition de rationaliser et de clarifier le droit actuel. Un seul texte de 82 articles et de 32 pages devrait réunir les règles relatives aux marchés et aux contrats de partenariat. Code des marchés publics, ordonnance du 6 juin 2005 et ordonnance de 2004 sur les contrats de partenariat devraient être abrogés au profit de ce « code de la commande publique ».

Cette rationalisation doit notamment porter sur la simplification des marchés publics globaux qui permettent aux donneurs d’ordre de confier à un prestataire unique la conception, la réalisation et l’exploitation d’un bâtiment.

L’article 74 du code de marchés publics actuel impose, pour les marchés de maîtrise d’œuvre supérieurs aux seuils européens, la procédure de Concours. Pour Catherine Jacquot, Présidente du CNOA[2] le concours « permet une concurrence qualitative et ouverte des équipes ainsi qu’une maîtrise du projet par les responsables publics (…). Le concours favorise également l’émulation d’une maîtrise d’œuvre autonome et compétitive, condition essentielle au maintien de la qualité architecturale du cadre bâti ».

La troisième version du projet de la DAJ de Bercy ne semble pas vouloir intégrer d’obligation de recours au Concours. Le recours à cette procédure est jugé onéreux pour le maître d’ouvrage. Les cabinets d’architecture sont en effet remboursés à hauteur de 80% des frais engagés pour concourir.

Ce mouvement traverse d’ailleurs l’Europe, où les nouvelles politiques architecturales deviennent plus "cost-oriented". Les Pays-Bas, pionniers des politiques nationales d’architecture depuis 1991 suivent actuellement une voie comparable. Pour Fred Schoorl, Directeur de l’Institut royal des architectes néerlandais, « les arguments économiques ont pris le pas sur les considérations idéologiques et esthétiques ».

Cette absence d'obligation de concours est à rapprocher de l’assouplissement des conditions de recours aux marchés de conception-réalisation prévu par le projet. Aujourd’hui l’article 37 du code des marchés publics encadre le « motif d’ordre technique »[3]. La dernière version du projet supprime cet encadrement, assouplissant ainsi les conditions de recours à ce contrat.

Il est craindre que la combinaison de ces deux dispositions facilite l’alliance, en amont du projet, des entreprises de travaux à un maître d’œuvre favorisant ainsi les grands groupes de BTP disposant de cette compétence en interne et les grands cabinets d’architecte. Pour le CNOA, « ce point sensible remet en cause les principes de la commande publique française d’architecture et de la loi du 12 juillet 1985[4] sur la maîtrise d’ouvrage publique et porte ainsi atteinte à l’indépendance de la maîtrise d’œuvre.». Elle peut aussi entrer en contradiction avec la consécration, dans les nouvelles Directives, du principe d’allotissement et la volonté affichée de faciliter l’accès des PME à la commande publique.

Si la volonté de simplification de la Direction des Affaires Juridiques est intéressante, les inquiétudes portées par le secteur ne sont pas à balayer d’un revers de main. Ces nouvelles marges de manœuvres doivent être utilisées avec discernement. La globalisation des projets et la rationalisation des enveloppes budgétaires peuvent aboutir à des résultats opposés à ceux escomptés (budget et projet non maîtrisés par le donneur d’ordre, perte d’expertise…). Par ailleurs, l’environnement dans lequel nous vivons influe sur notre dynamisme économique. Notre patrimoine architectural est un actif immatériel important, intégré par la comptabilité moderne dans les soldes intermédiaires de gestion. Peut-être Bercy peut-il réfléchir en gestionnaire « moderne » et avoir une approche guidée par la « Valeur » (TVO) plus que par les seuls « coûts » d’acquisition.

 


[1] Directives 2014/24/UE et 2014/25/UE : http://www.economie.gouv.fr/daj/reglementation-union-europeenne

[2] Conseil National de l’Ordre des Architectes

[3] L’article 37 du code des marchés publics conditionne le recours aux marchés de conception-réalisation à des « engagements contractuels sur un niveau d'amélioration de l'efficacité énergétique ou des motifs d'ordre technique rendant nécessaire l'association de l'entrepreneur aux études de l'ouvrage ».

[4] Loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'œuvre privée

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